Galerie Biche de Bere, Paris (September 27 to October 30, 2005)


MOVE 36 (Coup 36)

 Eduardo Kac

"Move 36" fait référence au coup porté par l’ordinateur nommé Deep Blue contre le champion du mode d’échec Gary Kasparov en 1997. Cette compétition peut être caractérisée comme un match entre le plus grand joueur d’échecs qui n’ait jamais vécu et le plus grand joueur d’échec qui ne vivra jamais. L’installation met en évidence les limites de l’esprit humain et les capacités toujours plus grandes développées par les ordinateurs et les robots, êtres inanimés dont les actions acquièrent souvent une force comparable au comportement subjectif humain.

Selon Kasparov, le moment essentiel dans le deuxième jeu de Deep Blue vint lors du coup 36. Plutôt que de faire un déplacement attendu par les observateurs comme par les commentateurs – un mouvement qui aurait eu une gratification immédiate – il fit un mouvement subtil et conceptuel qui, à plus long terme, s’avéra un meilleur choix. Kasparov ne pouvait pas croire qu’une machine avait fait un choix si étudié. Dans son esprit, le jeu était perdu.

L’installation présente un échiquier fait de terre (les cases noires) et de sable blanc (les cases blanches) au milieu d’une pièce. Il n’y a pas de pièces d’échec sur l’échiquier. Posée exactement à l’endroit où Deep Blue fit son « coup 36 » se trouve une plante dont le génome comprend un nouveau gène que j’ai spécifiquement créé pour cette œuvre. Le gène utilise l’ASCII (le code numérique universel pour représenter les chiffres binaires comme des caractères romains) pour traduire la citation de Descartes : "Cogito ergo sum" (Je pense donc je suis)  dans les quatre lettres du code génétique [1].



Eduardo Kac, "Move 36", 2004 (détail).


Par la modification génétique, les feuilles de la plante s’incurvent. A l’état naturel, ces feuilles seraient plates. Le « gène cartésien » a été couplé avec un gène qui cause cette mutation sculptural de la plante, ainsi le public peut voir à l’œil nu que le « gène cartésien » s’exprime précisément là où les courbes de la feuilles se développent et la font tourner.

Le « gène cartésien » a été produit en respectant un nouveau code que j’ai créé spécialement pour cette œuvre. Dans le 8-bit ASCII, la lettre C, par exemple est 01000011. Donc, le gène est créé par les associations suivantes entre les bases génétiques et le code binaire.

 A = 00

 C = 01

 G = 10

 T = 11
 

Le résultat est le gène suivant qui comprend cinquante deux bases : 

CAATCATTCACTCAGCCCCACATTCACCCCAGCACTCATTCCATCCCCCATC

 La création de ce gène est un geste critique et ironique, car Descartes considérait l’esprit humain comme « un fantôme dans la machine » (pour lui le corps était une « machine »). Sa philosophie rationaliste donna une nouvelle impulsion  à la fois à la séparation corps - esprit et aux fondements mathématiques de la technologique informatique actuelle. 




Eduardo Kac, "Move 36", 2004 (détail).


La présence de ce “gène cartésien” dans la plante enracinée précisément là où l’humain a perdu devant la machine, révèle la frontière ténue entre l’humanité, les objets inanimés ayant des caractéristiques proches de la vie et les organismes vivants qui contienne des informations codées numériquement. Un faisceau lumineux parallèle éclaire délicatement la plante. Des projections vidéo carrés et silencieuses sur les deux murs opposés contextualisent l’œuvre, évoquant deux opposants au jeu d’échec, absents. Chaque projection vidéo est composée d’une grille de petits carrés, ressemblant à un échiquier. Chaque carré de courtes boucles animées à divers intervalles, créant ainsi une ligne de mouvements complexes et soigneusement chorégraphiés. L’engagement cognitif du spectateur avec les multiples possibilités visuelles présentées à la fois sur les écrans stimule subtilement la cartographie des multiples chemins sur l’échiquier lors d’un jeu.

Un jeu pour des joueurs fantasmatiques, une déclaration philosophique exprimé par une plante, un processus sculptural qui explore la poésie de la vie réel et de l’évolution. L’installation est dans la continuité de mes interventions aux frontières entre le vivant (humain, animaux non-humains) et le non vivant (machines, réseaux).  Faisant échec et mat aux notions traditionnelles, « Move 36 » montre la nature comme une arène pour la production de conflits idéologiques et les sciences physiques comme un lieu de création de fictions scientifiques.

NOTE

 1 - Move 36 a été présentée pour la première fois à l’Exploratorium de San Francisco du 26 février au 31 mai 2004. L’installation a été également exhibé à la Gwangju Biennale, Gwangju,Corée (10 septembre à 13 novembre 2004); la Bienal de São Paulo, São Paulo, Brésil (25 septembre à 19 décembre, 2004); et le Centro Cultural Conde Duque, Madrid (18 janvier 18 à 20 février 20, 2005).  Le tirage lambda sur papier perlescent a été realize specialement pour l’exposition à la Galerie Biche de Bere, Paris.


Eduardo Kac, Move 36 (détail), 2002 / 04, installation transgénique avec vidéo numérique en boucle, dimensions variables (transgenic installation with digital video loop, detail, dimensions variable).

Eduardo Kac, Move 36 (détail), 2002 / 04, installation transgénique avec vidéo numérique en boucle, dimensions variables (transgenic installation with digital video loop, detail, dimensions variable).


Move 36 beneficié du soutien de la Fondation Creative Capital, New York.


Liste d'expositions


Bibliographie


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