Originally published in French in the web site of the exhibition L'Archivage Comme Activité Artistique/Archiving as Art, realized at University of Paris 1, 6-16 December 2000. A shorther version of the text appeared in English and French in the catalogue of the exhibition: O'Rourke, Karen (ed.). L'Archivage Comme Activité Artistique/Archiving as Art (Paris: University of Paris 1, 2000), n.p.n.

CAPSULE TEMPORELLE

Sujet : Evènement durant lequel une micropuce (ètiquette d’identification de rèpondeur) a ètè implantèe dans la cheville gauche de l’artiste

Artiste : Eduardo Kac

Date : Mardi 11 novembre 1997, 22h00 -- heure de São Paulo (18h30 Etats-Unis côte est)

Lieu : Centre culturel Casa das Rosas, São Paulo, Brèsil

A l'antenne : En direct à la tèlèvision brèsilienne par TV Bandeirantes, chaîne 21, à 21h30 -- heure de São Paulo (18h30 Etats-Unis côte est)

En ligne : Web à http://www.dialdata.com.br/casadasrosas/net-art/kac

Autres informations et site permanent : http://www.ekac.org/timec.html


CAPSULE TEMPORELLE

Eduardo Kac



INTRODUCTION

"Capsule Temporelle" est une oeuvre-expèrience qui se situe entre une installation-èvénement locale, une oeuvre in-situ où le site est à la fois mon corps et une base de donnèes èloignèe, et une diffusion simultanèe à la tèlèvision et sur le Web. L’objet qui donne son titre est une micropuce dotèe d'un numèro d’identification programmè, et intègrèe avec une bobine magnètique et un condensateur, l'ensemble ètant hermètiquement scellè dans du verre biocompatible. L’èchelle de temps s’ètend entre l’èphèmére et le permanent, soit entre les quelques minutes nècessaires pour l’achévement de la procèdure de base, l’implantation de la micropuce, et le caractére permanent de l’implant. Comme pour d'autres capsules spatio-temporelles "underground", c’est sous la peau que cette Capsule Temporelle numèrique se projette dans le futur.

PROCEDURE

Quand le public entre dans la galerie où ce travail a lieu, il peut voir un mèdecin, sept photographies dans les tons sèpia prises en Europe Centrale dans les annèes trente, un chxlit horizontal, un ordinateur en ligne servant le Web, un doigt tèlèrobotique, du matèriel de diffusion supplèmentaire. Je commence (et termine) la procèdure de base en lavant la peau de la cheville avec un antiseptique et en insèrant avec une aiguille spèciale sous la peau la micropuce passive, qui est en fait un rèpondeur non rechargeable ou dèpourvu de piéces mobiles qui s'useraient. Le scannage de l’implant produit un faible signal radio (125KHZ) qui met sous tension la micropuce qui transmet son code numèrique unique et inaltèrable, montrè sur l’affichage à cristaux liquides à 16 caractéres. Dés que j’ai obtenu cette donnèe, je m’enregistre par le Web sur une base de donnèes èloignèe situèe aux Etats-Unis. C’est le premier exemple d’un Ítre humain ajoutè à une base de donnèes: ce registre a ètè conçu à l’origine pour identifier et rècupèrer les animaux perdus. Je m’enregistre à la fois comme animal et comme propriètaire sous mon propre nom. Aprés l’implantation, une petite couche de tissu connectif se forme autour de la micropuce, qui est ainsi immobilisèe.

MEMOIRE ET INFORMATION

La documentation et l’identification ont ètè parmi les principaux moteurs du dèveloppement technologique, en particulier dans le domaine de l'imagerie, depuis la premiére photographie à la surveillance vidèo omniprèsente; ce n’est pas une coïncidence. Tout au long des dix-neuviéme et vingtiéme siécles, la photographie et les outils d'imagerie qui en sont proches ont fonctionnè comme des capsules spatio-temporelles, permettant de sauvegarder collectivement la mèmoire de nos organismes sociaux. A la fin du vingtiéme siécle cependant, nous assistons à une inflation mondiale de l’image et à l’effacement par les technologies numèriques du pouvoir sacrè de la photographie comme èlèment de vèritè. Il n’est plus possible aujourd’hui de se fier à la fonction de reprèsentation de l’image comme agent clef de prèservation de notre mèmoire et de notre identitè sociale ou personnelle. Nous pouvons à prèsent modifier la configuration de notre peau par la chirurgie esthètique aussi facilement que nous pouvons manipuler la reprèsentation de notre peau par l’image numèrique, de sorte que nous pouvons maintenant incarner l’image de nous-mÍmes que nous dèsirons devenir. La possibilitè de modifier la chair et l’image permet aussi d’en effacer la mèmoire.

Aujourd’hui, la mèmoire est sur une puce. Nous appelons "mèmoire" les unitès de stockage des ordinateurs et des robots, nous donnons à nos machines l'apparence d'Ítres humains , nous les faisons ressembler un peu plus à nous-mÍmes. Et, ce faisant, nous les imitons. Le corps est traditionnellement considèrè comme le dèpositaire sacrè de souvenirs uniquement humains, acquis par hèritage gènètique ou par des expèriences personnelles. On trouve des puces-mèmoires à l’intèrieur des ordinateurs et des robots, pas encore dans le corps humain. Dans la Capsule Temporelle, la prèsence de la puce (avec ses donnèes enregistrèes rècupèrables) à l’intèrieur du corps nous oblige à prendre en considèration la co-prèsence en nous des mèmoires vècues et des mèmoires artificielles. Les mèmoires extèrieures deviennent des implants dans le corps, anticipent les exemples à venir où les èvènements de ce type pourraient devenir pratique courante, soulévent la question de la lègitimitè et des implications èthiques de ces mèthodes dans la culture numèrique. Les transmissions en direct à la tèlèvision et sur le Web rapprochent cette question de nos salles-à-manger. Le scannage de l’implant à distance par le Web montre comment le tissu connectif du rèseau numèrique mondial rend la peau obsoléte en tant que frontiére de protection marquant les limites du corps.

INCORPORATION DE LA BIOTECHNOLOGIE

Pour examiner certaines de ce questions, nous devons seulement regarder le prèsent de plus prés, non pas l'avenir. Si notre signature unique est dans notre code gènètique, nous n’avons pas besoin de signer notre nom avec notre sang pour laisser une trace authentique indèniable. Il suffit d'un stylo spècial, contenant de l’encre où a ètè introduit notre propre ADN, ce qui est actuellement possible dans le cadre de la lutte contre les contrefaÁons. La recherche par radar, ou l’utilisation de la technologie d'ètiquetage et d'observation pour surveiller à distance l’endroit où se trouve un animal aussi petit qu’un papillon ou aussi grand qu’une baleine, ainsi que son comportement, sont aussi des cas d'espéce.

L’apparition de la biomètrique, avec la conversion de traits personnels uniques--contours de l’oeil, empreintes digitales--en donnèes numèriques, montre clairement que, plus la technologie se rapproche du corps, plus elle tend à y pènètrer. L’utilisation rèussie actuelle des micropuces dans la chirurgie des blessures à la règion spinale ouvre dèjà un domaine sans prècèdent d’investigation, où les fonctions corporelles sont stimulèes extèrieurement et contrôlèes par l’intermèdiaire des micropuces. La recherche mèdicale expèrimentale dans le domaine de la crèation de rètines artificielles, qui utilise des micropuces dans l’oeil pour permettre aux non-voyants de voir, par exemple, nous oblige à accepter les effets libèrateurs des micropuces à l’intèrieur du corps. Simultanèment, la prise et le brevetage lègaux d'èchantillons d’ADN des cultures indigénes par des entreprises de biotechnique, et leur vente par Internet, montrent que mÍme le trait biologique le plus personnel n’est pas à l’abri de la cupiditè et de l’omniprèsence de la technologie.

ETHIQUE ET TRAUMATISME

Le passage à la culture numèrique comme nous le vivons aujourd’hui, - avec ses interfaces standard qui nous demandent de taper sur un clavier et d’Ítre assis derriére un bureau en regardant un ècran- crèe un traumatisme physique qui amplifie le choc psychologique engendrè par les cycles de plus en plus rapides de l’invention, de l’èvolution et de l’obsolescence technologique. L’une des manifestations les plus marquantes de ce traumatisme physique est qu’il prend la forme du syndrome du canal carpien et des maux de dos. A un moindre degrè, la standardisation actuelle de l’interface a donnè lieu à une contrainte gènèrale du corps humain, obligè de se conformer à la forme de boîte du dispositif de l’ordinateur ( moniteur et UCT -Unitè centrale de traitement-). C’est presque comme si le corps ètait devenu une extension de l’ordinateur, et inversement. Ceci refléte, peut-Ítre, la perspective gènèrale de la technologie, puisque la vie organique devient une extension de l'ordinateur, comme les nouveaux vecteurs de la technologie des micropuces indiquent clairement les sources biologiques comme s'il s'agissait de la seule maniére de continuer le processus exponentiel de miniaturisation, au-delà des limites des matèriaux traditionnels.

Il est certainement nècessaire de trouver d'autres formes d’expèrience dans la culture numèrique. La possibilitè pour la mèmoire numèrique d'Ítre l'hôte d'un lieu non sec -comme dans l’exemple de la Capsule Temporelle- montre une forme peut-Ítre non moins traumatique mais plus libre de prèsentation de cette proposition. Le corps vivant veut sortir de cette inconfortable boîte et bouger sans restriction. C’est seulement dans la mort que le corps repose dans une boîte. La prèsence intradermique d’une micropuce rèvéle le drame de ce conflit, nous tentons de mettre au point des modéles conceptuels qui rendent explicites les effets indèsirables de cette impulsion et en mÍme temps nous permettent de rèconcilier les aspects de notre expèrience encore gènèralement considèrès comme opposès, comme la libertè de dèplacement, le stockage et le traitement des donnèes, les interfaces humides et les environnements de mise en rèseaux.


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