Originally published in Artpress 258, June 2000, pp. 55-56.
 
la beauté  
beauty

par NORBERT HILLAIRE

avignonumérique, les mutalogues de l'an 2000
Avignon's Digital Citizenship
Parmi les très nombreuses manifestations liées au passage à l’an 2000, Avignonumérique/les mutalogues, fait figure d’exception. C’est une manifestation expérimentale conçue par Louis Bec dans la Cité des papes à la demande initiale de Claude Mollard, Avignon étant en 2000 ville européenne de la culture. Il s’agit moins ici de créer une cité virtuelle (et l’on sait l’usage excessif des métaphores spatiales et urbaines appliquées à l’aménagement du cyberespace) que d’inscrire dans l’espace des lieux concrets d’une ville (mais l’espace est toujours à la fois, physique, social et mental) cette question majeure : le web et les technologies en général ouvrent-ils la voie à une nouvelle urbanité, au sens que le 18e siècle a pu donner à ce mot, à une forme nouvelle d’intelligence collective ?
Par ses échelles (la totalité d’une ville), par ses ambitions (esthétiques, sociales, éthiques et politiques), ce projet s’inscrit assez directement dans la continuité de cette «sculpture sociale» dans laquelle Beuys voyait le destin de l’art.
Il est donc difficile de présenter Avignonumérique selon le modèle ou le régime du «spectaculaire» qui prévaut aujourd’hui en matière d’événements culturels : ou alors il faut admettre que ce qui fait événement, dans Avignonumérique, c’est précisément son refus du modèle de l’exposition-événement. Aux certitudes de l’événementialisation culturelle annoncée (selon le modèle qui prévaut pour les films de Lucas ou de Spielberg), Avignonumérique oppose l’incertitude ou le devenir aléatoire d’un work in progress (étendant ainsi les prérogatives de l’œuvre ouverte aux dimensions d’une opération culturelle de grande envergure, alors que ce régime paraissait jusqu’à présent plutôt réservé aux œuvres, et en particulier celles qui en appellent à l’interactivité). Ainsi, la recherche de correspondances étroites entre les activités transdisciplinaires artistiques et scientifiques, et les actions menées avec les populations dans les quartiers, est une préoccupation centrale de cette expérience. Populations ? Vous avez dit «populations» ? Et non «publics» ? ou «spectateurs» ? Oui, dirait Louis Bec, qui, à la notion de public «bande passante», oppose l’idée de population résidente, sorte de communauté en devenir ou d’intelligence collective dont Avignonumérique se voudrait le catalyseur : il s’agirait en somme (pour une fois) de sortir de la vieille opposition du quantitatif et du qualitatif dans les débats de société et de culture. 
Ainsi, ce laboratoire qu’est Avignonumérique ne dissocie pas l’interrogation artistique des technologies numériques (performances de Stelarc ; présentation d’un lapin transgénique fluorescent d’Eduardo Kac, en association avec Louis Marie Houdebine, Patrick Prunet, Claude Gudin et Louis Bec, qui donnera lieu, le 20 juin, à un débat ; travaux de Justine Cassel (MIT) sur «les agents conversationnels» (juin, Grenier à sel) et les interrogations politiques et éthiques que soulève aujourd’hui l’essor de l’ingénierie massive du vivant. D’où la tenue de plusieurs colloques et ateliers consacrés à ces questions («Des gènes sur l’herbe» réunira, le 11 juillet au domaine de Bouchony, un parterre d’experts sur ces questions).
Spatialement, cette expérience se développe sur plusieurs fronts et à plusieurs échelles (des quartiers au centre, de la ville d’Avignon à l’Europe). La dimension européenne du projet, Café Nine, se propose d’associer à travers les neuf villes européennes de la culture, des partenaires qui travaillent à l’émergence des nouvelles cultures urbaines.
A partir d’un lieu source, le Grenier à sel, Avignonumérique essaime dans toute la ville, et en particulier dans les lieux à vocation socioculturelle, selon une vision résolument polycentrique et finalement réticulaire de l’espace urbain. Le Grenier à sel offre à un tel projet son cadre si particulier : Jean-Michel Wilmotte a accompli ici des prodiges de reconversion et de modernisation. Mais ces lieux ne seraient rien sans l’interconnexion dont ils font l’objet, interconnexion réalisée par l’intermédiaire d’un réseau à haut débit, appelé à demeurer. La BPS (système de diffusion d’émissions de la Cinquième stockées dans une banque accessible via Internet et le satellite) figure au cœur du dispositif. Chronologiquement, l’événement se déroule selon plusieurs régimes de temporalité, tous enchevêtrés : à la temporalité forcément ressérée des performances, concerts, workshops, Avignonumérique ajoute un temps autre : celui de la formation d’acteurs sociaux à ces technologies numériques qui auront été sensibilisés à leur usage artistique. Telle est en particulier la vocation des chantiers technologiques. Ces derniers, véritable pari sur l’avenir de la culture, sont au nombre de six : 
- le multimédia.
- la capture de mouvement et le langage du corps (signalons le workshop Faits et gestes sous la responsabilité de Sally Jane Norman, du 17 au 29 Juillet, au foyer 77).
- le son (avec l'utilisation d'une audiosphère (création du compositeur et designer du son Louis Dandrel) installée dans la MJC de la Croix des Oiseaux, et aussi les créations de Michel Waisvisz, inventeur dinstruments numériques.
- la robotique. Il s’agit d'interroger le mouvement des objets à partir de systèmes simples allant de la mécanique, de l'électronique jusqu'au numérique. Il est placé sous la responsabilité de Loeil, laboratoire de création que dirige Christian Soucaret, établi dans l’école d’art d’Aix-en-Provence.
- la vidéo photo numérique, et enfin, la narration et l’hypertexte. 
Avignonumérique/les mutalogues stands out in the crowded landscape of France’s YK2 celebrations. It is an experimental event conceived by Louis Bec at the request of Claude Mollard and designed for the papal palace in Avignon (one of Europe’s nine cultural capitals for the millennial switchover). Its aim is not so much to create a virtual city (we all know how over the top these urban and spatial metaphors can get when it comes to developments in cyberspace) as to inscribe one very important question in the real locations of a given town (but then space is always at one and the same time physical, social and mental). That question is: Are the Web and new technology in general opening the way to a new urbanity, in the 18th-century sense of that word, a new form of collective intelligence?

By its scale (a whole town) and ambitions (whether aesthetic, social, ethical or political), this project is a pretty direct extension of the “social sculpture” that, for Beuys, was the function and destiny of art.

This makes it difficult to give Avignonumérique the kind of spectacular presentation that is pretty much de rigueur in today’s cultural events. In fact, the novelty of this event lies precisely in the fact that it refuses to be one. Instead of the emphatic certainties of the cultural blockbuster (as surround the films of Spielberg, Lucas et al), Avignonumérique offers the uncertainty or aleatory development of a work in progress, extending the characteristics of the open work to a large-scale cultural happening when these seemed to be the prerogative of artworks, and in particular interactive ones. At the heart of this experiment, then, we find a search for close correspondences between cross-disciplinary artistic and scientific activities, complemented by projects undertaken with the local population. Population, I insist, and not “publics” or “audiences.” Instead of the public as “receiver,” Bec puts forward the idea of the resident population, a kind of evolving community or collective intelligence that Avignonumérique sets out to catalyze. The idea, in short, is to get beyond the old quantity vs. quality opposition that dominates social and cultural debate.

Consequently, Avignonumérique draws no line between artistic questions and digital technologies. This is reflected in the program, which includes a performance by Stelarc, the presentation of a fluorescent transgenic rabbit by Eduardo Kac with Marie Houdebine, Patrick Prunet, Claude Gudin and Louis Bec, complete with a debate on June 20, and the work of MIT’s Justine Cassel on “conversational agents” (at the Grenier à Sel in June). Participants will debate all the political and ethical questions raised by the exponential growth of the biotechnologies at a number of symposiums and workshops (“Des gènes sur l’herbe” is the punning title of the debate at the Domaine de Bouchony on July 11).

Spatially, this experiment will operate simultaneously on several different levels and scales (from the outlying neighborhoods to the town center, from Avignon to Europe). Working with the eight other cultural capitals, Café Nine will develop partnerships between all those who are working to shape new urban cultures.

Avignonumérique will radiate around the town, and especially to its sociocultural centers, from its central location in the Grenier à Sel. It is predicated on a resolutely polycentric and reticular vision of the urban space. In the Grenier itself, Jean-Michel Wilmotte has done a prodigious job rehabilitating and modernizing. But these spaces would be nothing without their interconnection through the high-rate BPS system (used to broadcast the programs of the La Cinquième TV channel from a store accessible via the Internet or by satellite), a key element which the town will keep after the event. 
Chronologically, the event will occupy several different but overlapping time-frames. On top of the necessarily short-lived performances, concerts and workshops, Avignonumérique will include a more long long-term new technologies training program for community teachers who have been familiarized with their artistic uses. This is the idea behind the “technological work sites,” which constitute a real wager on the future of culture. There are six of these:
- multimedia.
- capture of movement and the language of the body (note the workshop run by Sally Jane Norman, Faits et gestes, from 17 to 29 July).
- sound, with the use of an Audiosphere (invented by the composer and sound designer Louis Dandrel) installed at the youth and culture center at La Croix des Oiseaux, and the creations of Michel Waisvisz, an inventor of digital instruments.
- robotics. The aim here is to look at the movement of objects using simple systems ranging from mechanics and electronics to digital technology. This workshop is being run by Loeil, the creative laboratory directed byChristian Soucaret, based at the art school in Aix-en-Provence.
- digital video and photography, and, lastly,
- narration and hypertext. 

Translation, C. Penwarden

 


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