Originally published in Le Monde Interactif, 30 juin 2000: http://www.lemonde.fr/article_impression/0,2322,76911,00.html.


 
Quoi de neuf, Docteur ?

Un lapin transgénique interdit d'exposition à Avignon.

Mis à jour le vendredi 30 juin 2000

Sylvie Chayette

Bugs Bunny interdit de visite. Il ne s’agit pas d’un épisode de dessin animé, mais d’un événement bien réel. « Bunny GFP » n’aura pas le droit de séjourner à Avignon. Depuis plus d’un an et demi, l’artiste brésilien Eduardo Kac et le chercheur de l’INRA Louis-Marie Houdebine travaillent sur un projet artistique pour la manifestation présidée  par le biologiste Louis Bec « Avignonumérique » : un lapin pas comme les autres dont le code génétique a été modifié. En effet Bunny GFP est un animal transgénique, dont l’ADN a été mêlé à celui d’une méduse. Rien de novateur puisque ce type de manipulation est depuis longtemps effectué dans les laboratoires de recherche comme l’INRA. L’audace a été de vouloir montrer Bunny au grand public, de vulgariser ce qui n’était jusqu’alors que le secret de quelques scientifiques. En montrant Bunny à Avignon, la boîte de Pandore était ouverte. On pouvait observer et regarder vivre un "monstre" issu des manipulations génétiques. Le fantasme devenait réalité.

Or l’interdiction est tombée et Jean-Marie Houdebine, le chercheur impliqué dans cette histoire a reçu un blâme de l’INRA. Complexe de comprendre le sens d’une telle interdiction : car des lapins comme Bunny, il y en a des dizaines dans les laboratoires des instituts de recherche en génétique. Mais Bunny devait bel et bien sortir de son terrier. « C’est un problème de translations », explique Louis Bec, commissaire d’Avigonumérique ; translation de gènes bien sûr, mais surtout translation d’un champs à un autre, de la sphère étroite de la science spécialisée à un champs sociologique beaucoup plus large. Bunny générateur de désordre social…Et pourtant, on peut bien voir des interrogations esthétiques dans ce lapin : un lapin qui contient en lui une étrangeté non-observable à première vue qui émerge sur la matière lorsque celle-ci est en contact avec la lumière. Lorsque le lapin reçoit des rayons bleu, certaines parties de son corps deviennent fluorescentes. Ce qui pose cependant problème est qu’ici toute représentation est annihilée. C’est l’arithmétique de la monstruosité qui est modifiée. Le "monstre" est en effet bien le fruit d’un calcul : d’une addition (par exemple un membre supplémentaire), d’une soustraction (le cyclope)…etc. Or avec Bunny, c’est la donnée même de l’animal qui est monstrueuse. Un "monstre" créé de toute pièce par la main de l’homme…

Dés lors l’expérience Bunny ne nous concerne-t-elle pas tous ? Les scientifiques n’agissent-ils pas aussi forcément dans tout le champs culturel ? Exposer le lapin aurait peut-être pu servir à ce que chacun soit capable de prendre conscience que les limites entre les espèces ne sont plus possibles, que les frontières entre les notions d’inné et d’acquis sont bouleversées. On peut difficilement prétendre que Bunny est une œuvre d’art. Mais exhiber Bunny aurait cependant probablement servi à tenter de mesurer l’impact des avancées scientifiques dans les domaines artistiques et culturels au sens le plus large. Son interdiction de séjour va désormais interroger les sphères juridique, éthique et politique.
 
 

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