Originally translated by Catherine Makarius for a lecture by Eduardo Kac realized on December 9, 2000, at the Sorbonne, Amphithéâtre Richelieu, in the context of the symposium "ART. SCIENCE. TECHNOLOGIE - Réflexions sur les recherches actuelles", organized by Anne-Marie Duguet, Professor, Université de Paris 1. Fragments of this text were published in Revue d'Esthétique, N. 39, 2001, pp. 67-68.


LAPIN PVF

Eduardo Kac

Mon "lapin PVF" est une œuvre d'art transgénique qui, outre la création d'un lapin vert fluorescent, inclut le débat public suscité par le projet et l'intégration sociale du lapin. PVF signifie protéine vert fluorescent. Le "lapin PVF" fut conçu cette année 2000 et présenté au public à Avignon. L'art transgénique, tel que je l'ai proposé ailleurs, est un art nouveau qui utilise le génie génétique pour transférer des gènes naturels ou de synthèse à un organisme, dans le but d'engendrer des êtres vivants uniques. Ceci doit être accompli avec grande prudence, en tenant compte des problèmes complexes qui en découlent et, par dessus tout, en s'engageant à respecter, à nourrir et à aimer la vie ainsi créée.

BIENVENUE ALBA

Je n'oublierai jamais la première fois que je la tins dans mes bras. C'était à Jouy-en-Josas, le 29 avril 2000. Mon appréhension a fait place à la joie et à l'excitation. Alba - le prénom que ma femme, ma fille et moi-même lui avions donné- était adorable et affectueuse et c'était un pur plaisir de jouer avec elle. Comme je la berçai, elle cala sa tête entre mon corps et mon bras gauche, trouvant enfin une position confortable pour rester tranquille et profiter de mes douces caresses. Elle éveilla tout de suite en moi un sens fort et pressant de la responsabilité de son bien-être.

Alba est sans conteste un animal très particulier mais je tiens à préciser que sa singularité formelle et génétique ne sont qu'une composante de l'œuvre "Lapin PVF". Le projet "Lapin PVF" est un événement social complexe qui commence par la création d'un animal chimérique qui n'existe pas dans la nature ("chimérique" au sens d'une tradition culturelle d'animaux imaginaires, et non selon la définition scientifique d'un organisme composé d'un mélange de cellules) et comporte également : 1) les discussions en cours entre spécialistes de différentes disciplines (art, sciences, philosophie, droit, communication, littérature, sciences sociales); 2) la remise en cause de la prétendue suprématie de l'ADN dans la création du vivant, en faveur d'une conception plus complexe du lien étroit qui unit la génétique, l'organisme et le milieu; 3) l'élargissement des notions de biodiversité et d'évolution en vue d'incorporer un travail précis au niveau du génome; 4) la communication inter-espèces entre les humains et un mammifère génétiquement modifié; 5) l'intégration et la présentation du "Lapin PVF" dans un contexte social et interactif; 6) l'examen des notions de normalité, d'hétérogénéité, de pureté, d'hybridation et d'altérité; 7) la prise en compte d'une notion non sémiologique de la communication telle que le partage du matériel génétique au-delà des traditionnelles barrières d'espèces; 8) Le respect et la reconnaissance de tous à l'égard de la vie émotionnelle et cognitive des animaux génétiquement modifiés; 9) le dépassement des barrières matérielles et conceptuelles de l'art actuel pour pouvoir y inclure la création d'un être vivant.

UNE LUEUR DANS LA FAMILLE

"ALBA", la lapine vert fluorescent, est un lapin albinos. Ce qui signifie que, puisque sa peau est dépigmentée, dans des conditions habituelles du milieu, elle est complètement blanche et a les yeux roses. Alba n'est pas tout le temps verte. Elle ne luit que lorsque qu'elle est éclairée d'une lumière idoine. Lorsqu'elle est éclairée d'une lumière bleue (excitation maximale de 488 nm?) - et seulement dans ce cas - elle émet une lumière vert clair (émission maximale de 509 nm?). Elle a vu le jour grâce à la protéine vert fluorescent, une version améliorée obtenue par mutation artificielle du gène originel vert fluorescent que l'on trouve chez la méduse Æquorea Victoria. Cette protéine vert fluorescent produit une fluorescence environ deux fois plus grande dans les cellules des mammifères (y compris dans les cellules humaines) que le gène originel de la méduse.

La première phase du projet "Lapin PVF" s'est achevée en février 2000 par la naissance d'Alba à Jouy-en-Josas, grâce au concours inestimable du zoologiste Louis Bec et des scientifiques Louis-Marie Houdebine et Patrick Prunnet. Le prénom "Alba" a été choisi d'un commun accord entre ma femme Ruth, ma fille Miriam et moi-même. La deuxième phase est la poursuite de la discussion qui a débuté par l'annonce publique de la naissance d'Alba lors de la conférence Planet Work de San Francisco, le 14 mai 2000. La troisième phase commencera quand le lapin sera revenu à Chicago, qu'il sera intégré à ma famille et vivra parmi nous.

La procréation sélective, de même que les modifications génétiques naturelles, ont contribué à la diversité morphologique du lapin. Le lapin albinos, par exemple, est une mutation naturelle (récessive) qui, à l'état sauvage, a peu de chances de survivre (en raison de l'absence de pigmentation nécessaire au camouflage et d'une vision suffisamment perçante pour repérer sa proie). Toutefois, puisque le lapin albinos est une création humaine, il est aujourd'hui très répandu dans les populations saines. La préservation par l'homme des animaux albinos est aussi une tradition ancienne: pratiquement toutes les tribus natives d'Amérique ont accordé une signification spirituelle particulière aux animaux albinos et édicté des lois sévères pour les protéger.

DE LA PROCRÉATION A L'ART TRANSGENIQUE

Le "Lapin PVF" est une œuvre d'art transgénique et non un projet de procréation. Elle en diffère autant par les principes qui guident le projet, que par les protocoles utilisés et les objectifs premiers. Traditionnellement, la procréation animale était l'aboutissement d'un processus de sélection étendu sur plusieurs générations qui cherchait à créer des espèces pures, de forme et de structure standards, dans le but souvent d'optimiser une fonction spécifique. En se déplaçant du milieu rural à l'environnement urbain, la procréation néglige la sélection d'attributs comportementaux mais continue a être gouvernée par une notion esthétique fondée sur l'apparence et sur des critères morphologiques. A contrario, l'art transgénique offre une conception esthétique qui met en valeur le social aux dépens des aspects formels du vivant et de la biodiversité, défie les notions de pureté génétique, incorpore un travail précis au niveau du génome et révèle la plasticité de l'idée d'espèces dans un contexte toujours plus transgénique.

En tant qu'artiste transgénique, je ne cherche pas à créer des objets génétiques mais à inventer des sujets sociaux transgéniques. En d'autres termes, ce qui est important, c'est le processus totalement intégré de la création du lapin, son introduction au monde et le fait de lui procurer un environnement aimant, sécurisant et nourricier dans lequel Alba puisse se développer harmonieusement. Ce processus intégré est important parce qu'il place le génie génétique dans un contexte social dans lequel la relation entre sphères privées et publiques est négociée. Autrement dit, la biotechnologie, le domaine privé de la famille et celui de l'opinion publique sont considérés comme étant liés les uns aux autres. L'art transgénique ne cherche pas à produire des objets d'art trangéniques, qu'ils soient inertes où doués de vie. Une telle approche supposerait une réunion de la sphère opérationnelle des sciences du vivant avec une esthétique traditionnelle qui privilégie la préoccupation formelle, la stabilité physique et l'isolement herméneutique. Intégrant les leçons de la philosophie dialogique et de l'éthologie cognitive, l'art transgénique doit promouvoir la connaissance et le respect de la vie spirituelle (mentale) de l'animal génétiquement modifié. Le mot "esthétique", dans le contexte de l'art transgénique, doit être entendu de la façon suivante: la création, la socialisation et l'intégration domestique sont un seul et unique processus. Il ne s'agit pas de soumettre le lapin à des exigences ou des caprices particuliers; il faut jouir de sa compagnie en tant qu'être vivant unique (tous les lapins sont différents), qu'Alba soit considérée pour ses qualités intrinsèques, dans une relation dialogique.

Un aspect très important du "Lapin PVF" est qu'Alba, comme tous les autres lapins, est sociable et a besoin de communiquer par des signaux comme la voix et le contact physique. Comme je l'ai observé, il n'y a aucune raison de croire que l'art interactif de demain ressemblera à ce que nous avons connu au XXe siècle. Le "Lapin PVF" indique une voie alternative et démontre qu'un concept pertinent d'interaction s'enracine dans la notion de responsabilité individuelle (à la fois soin et possibilité de réponse). le "Lapin PVF" est un prolongement de mon intérêt pour la création, dans l'art, de ce que Martin Buber appelait la relation dialogique, Mikhaïl Bakhtine la sphère dialogique de l'existence, Émile Benveniste l'intersubjectivité et Humberto Maturana les domaines consensuels, à savoir: les sphères communes de la perception, du cognitif et de la médiation dans lesquelles deux ou plusieurs êtres sentants (humains ou autres) peuvent négocier leur expérience dialogiquement. Le travail s'inspire aussi de la philosophie de l'altérité d'Emmanuel Lévinas qui pose que notre proximité à l'autre demande une réponse et que le contact interpersonnel avec autrui est l'unique relation de la responsabilité éthique. Je crée mes œuvres pour admettre et incorporer les réactions et les décisions des participants, qu'ils soient eucaryotes ou procaryotes. C'est ce que j'appelle l'interface homme-plante-oiseau-mammifère-robot-insecte-bactérie.

Pour être réalisable, cette plate-forme esthétique - qui réconcilie les formes d'intervention sociale avec l'ouverture sémantique et la complexité systémique - doit admettre que chaque situation, dans l'art comme dans la vie, a ses propres paramètres et limites spécifiques. La question n'est donc pas de savoir comment supprimer toutes les entraves (une impossibilité), mais comment les maintenir suffisamment indéterminées, de sorte que ce que les participants, humains et non-humains, pensent, perçoivent et font quand ils sont en contact avec l'œuvre soit signifiant. Ma réponse est de faire un effort concerté pour rester assez ouvert aux choix et aux comportements des participants, d'abandonner une portion substantielle de contrôle sur l'expérience du travail, d'accepter l'expérience telle qu'elle se présente, c'est à dire comme un champ de possibilités en transformation, d'en tirer des leçons, de grandir avec elle, d'être transformé tout au long du travail. Alba est une participante de l'œuvre d'art transgénique "Lapin PVF", comme le sont tous ceux qui entrent en contact avec elle, tous ceux qui accordent quelque attention au projet. Un jeu complexe de rapports entre vie de famille, différence sociale, protocole scientifique, communication inter-espèces, débat public, morale, déchiffrage des média et contexte artistique est ici à l'œuvre.

Au cours du XXe siècle, l'art s'est progressivement détaché de la représentation picturale, de la fabrication d'objets et de la contemplation visuelle. Les artistes, qui ont cherché de nouvelles voies qui puissent répondre plus directement aux transformations sociales, ont mit l'accent sur le processus, le concept, l'action, l'interaction, les nouveaux média, l'environnement et le discours critique. L'art transgénique admet ces changements et rompt de façon radicale avec eux en plaçant la question de l'actuelle création de la vie au centre du débat. Incontestablement, l'art transgénique profite aussi d'un contexte plus large, des profonds bouleversements dans d'autres domaines. Au XXe siècle, la physique a admit la relativité et l'incertitude, l'anthropologie a anéanti l'ethnocentrisme, la philosophie a dénoncé la vérité, la critique littéraire s'est séparée de l'herméneutique, l'astronomie a découvert de nouvelles planètes, la biologie a repéré des microbes "extrêmophiles" vivants dans des conditions qui autrefois étaient considérées comme impropres au développement de la vie et la biologie moléculaire a fait du clonage une réalité.

L'art transgénique admet le rôle de l'homme dans l'évolution du lapin en tant qu'élément naturel, en tant que chapitre de l'histoire naturelle à la fois des hommes et des lapins, car la domestication est toujours une expérience bidirectionnelle. De même que les hommes ont domestiqué les lapins, les lapins ont domestiqués leurs hommes. Si la téléonomie est le propos apparent de l'organisation des systèmes vivants, alors l'art transgénique suppose une approche non-utilitaire et plus subtile. En dépassant la métaphore de l'œuvre d'art comme organisme vivant dans une incarnation complexe du trope, l'art transgénique ouvre un domaine non-téléonomique pour les sciences de la vie. En d'autres mots, dans le contexte de l'art transgénique, les hommes exercent une influence sur l'organisation des systèmes vivants mais cette influence n'a pas de visée pragmatique. L'art transgénique ne cherche pas à modérer, à sous-estimer ou à arbitrer le débat public. Il veut ouvrir une nouvelle perspective qui offre ambiguïté et subtilité là où nous ne trouvons d'ordinaire que la polarité affirmative ("pour") ou négative ("contre"). Le "Lapin PVF" met en valeur le fait que les animaux génétiquement modifiés sont des créatures normales qui appartiennent à la vie sociale au même titre que n'importe qu'elle autre forme de vie et qui, par conséquent, méritent autant d'amour et de soin que tous les autres animaux.

En développant le projet "Lapin PVF", j'ai fait très attention et pris sérieusement en considération tout dommage potentiel qu'il aurait pu causer. J'ai décidé d'engager le processus parce qu'il apparut qu'il était sans risques. Il n'y eut pas de surprise lors du protocole: la séquence génétique responsable de la production de la protéine vert fluorescent fut intégrée au génome par micro injection zygote. La gestation fut menée avec succès jusqu'à son terme. Le "Lapin PVF" ne propose aucune forme nouvelle d'expérimentation génétique, ce qui revient à dire: les techniques de micro injections et la protéine vert fluorescent sont des outils bien établis dans le champ de la biologie moléculaire. La protéine vert fluorescent a déjà été implantée, et avec succès, dans de nombreux organismes receveurs, dont les mammifères. Aucun effet mutagène n'est résulté de l'intégration d'un gène modifié dans le génome receveur. Pour l'exprimer autrement, la protéine vert fluorescent est sans dommage pour le lapin. Il est aussi important de noter que le projet "Lapin PVF" ne transgresse aucune loi sociale: il y a au moins 1400 ans que les hommes déterminent l'évolution du lapin.

ALTERNATIVES A L'ALTÉRITÉ

En négociant notre relation avec notre compagnon lagomorphe, il faut penser la médiation du lapin sans anthropomorphisme. Les relations ne sont pas tangibles mais constituent un champ fertile pour la recherche artistique, poussant l'interactivité dans le domaine littéral de l'intersubjectivité. Tout existe en relation à quelque chose d'autre. Rien n'existe isolément. En orientant mon travail vers l'interconnexion entre entités biologiques, technologiques et hybrides, j'ai attiré l'attention sur ce fait, simple mais essentiel. Parler d'interconnexion ou d'intersubjectivité, c'est reconnaître la dimension sociale de la conscience.

Alba est un mammifère paisible et en bonne santé. Pour infirmer la croyance populaire en la soi-disant monstruosité des organismes génétiquement modifiés, son apparence physique et sa carnation sont exactement du même type que celle que nous trouvons d'habitude chez les lapins albinos. Si l'on ne sait pas qu'Alba est un lapin rayonnant, il est impossible à quiconque de déceler chez elle quoi que ce soit d'inhabituel. Ainsi Alba ébranle toute idée d'altérité. C'est précisément cette ambiguïté productive qui fait d'elle une créature à part: un être vivant à la fois identique et différent. Comme c'est le cas dans la plupart des cultures, notre relation aux animaux est profondément révélatrice de nous-mêmes. Notre coexistence quotidienne et l'interaction avec des représentants d'autres espèces nous rappellent notre singularité d'hommes. En même temps, elle nous permet d'utiliser d'autres dimensions de l'esprit humain, souvent ignorées dans la vie de tous les jours - comme la communication sans langage- qui révèlent à quel point nous sommes proches en réalité des non-humains. Plus il y a d'animaux qui participent à notre vie domestique, plus nous éloignons la procréation de la fonctionnalité et de l'animal de labeur. Notre relation avec d'autres animaux se modifie, tout comme les conditions historiques sont modifiées par les pressions politiques, les découvertes scientifiques, le progrès technologique, les circonstances économiques, la création artistique et les percées philosophiques. En ce début du XXIe siècle, au moment où nous transformons notre idée des frontières physiques humaines en introduisant de nouveaux gènes dans des organismes humains développés, notre communion avec les animaux, dans notre environnement, change également. La biologie moléculaire a démontré que le génome humain n'est par particulièrement important, ni spécial, ni différent. Le génome humain est constitué des mêmes éléments de base que celui des autres formes de vie connues et peut être considéré comme faisant partie d'une spectre génique plus vaste, riche en variations et diversité.

Les philosophes occidentaux, d'Aristote à Descartes, de Locke à Leibniz, en passant par Kant, Nietzsche et Buber, se sont intéressés à l'énigme de l'animalité d'une multitude de manières, évoluant avec le temps et élucidant en chemin leurs visions de l'humanité. Tandis que Descartes et Kant considèrent avec assez de condescendance la vie spirituelle des animaux (ce que l'on peut dire aussi d'Aristote), Locke, Leibniz, Nietzsche et Buber sont -à des degrés divers- plus tolérants envers nos autres eucaryotes. Aujourd'hui, notre capacité à engendrer la vie grâce à la méthode directe du génie génétique entraîne une réévaluation de l'objectivation culturelle et personnelle des animaux, et, ce faisant, renouvelle nos recherches concernant les limites et les potentialités de ce que nous appelons l'humanité. Je ne crois pas que le génie génétique élimine le mystère de ce qu'est la vie; par contre, il réveille en nous le sens du merveilleux à l'égard du vivant. Nous penserons seulement que la biotechnologie élimine le mystère de la vie si nous la privilégions au détriment d'autres visions de la vie (aussi opposées que de voir la biotechnologie comme une contribution parmi d'autres à un débat plus vaste) et si nous acceptons la vision réductrice (que ne partagent pas nombre de biologistes) que la vie est purement et simplement la matière de la génétique. L'art transgénique rejette sans appel cette conception et nous rappelle que la communication et l'interaction entre acteurs sentants et non-sentants est au cœur de ce que nous appelons la vie. L'art transgénique, au lieu d'accepter de passer de la complexité des processus du vivant à la génétique, attache une grande importance à l'existence sociale des organismes et met ainsi en évidence le continuum de l'évolution des caractéristiques physiologiques et comportementales entre espèces. Le mystère et la beauté de la vie sont aussi grands que toujours lorsque nous admettons notre étroite parenté biologique avec d'autres espèces et lorsque nous comprenons qu'à partir d'un jeu limité de bases génétiques, la vie s'est développée sur terre avec des organismes aussi divers que les bactéries, les plantes, les insectes, les poissons, les reptiles, les oiseaux et les mammifères.

TRANSGENESE, ART ET SOCIÉTÉ

Le succès de la thérapie génique humaine montre les bénéfices qu'il y a à altérer le génome humain pour soigner ou améliorer les conditions de vie de nos semblables. En ce sens, l'introduction d'une séquence génétique étrangère dans le génome humain est non seulement bien venue, mais souhaitable. Les progrès de la biologie moléculaire, comme les exemples évoqués plus haut, sont parfois avancés pour réveiller le spectre de l'eugénisme et de la guerre biologique et, avec eux, la crainte de la banalisation et de l'abus de l'utilisation du génie génétique. Cette crainte est légitime, historiquement fondée, et doit être considérée. Pour compliquer le problème, les sociétés font souvent appel à des stratégies rhétoriques vides pour convaincre le public et passent ainsi à côté d'un débat sérieux qui reconnaît à la fois les problèmes et les bénéfices de la technologie. Il existe de fait de sérieuses menaces, comme la perte éventuelle de confidentialité des informations génétiques qui concernent tout un chacun, des pratiques inacceptables déjà en cours, comme le bio-piratage (l'appropriation et le dépôt de matériel génétique sans autorisation explicite).

En examinant ces questions, nous ne pouvons ignorer le fait que la mise au ban de toute la recherche génétique entraverait la découverte de traitements indispensables pour des maladies dévastatrices qui atteignent aussi bien les hommes que les animaux. Le problème est même plus complexe. Peut-on développer avec succès de telles thérapies, et qui y aura accès? À l'évidence, la question de la génétique n'est pas qu'un problème scientifique; elle a partie liée avec les orientations politiques et économiques. C'est précisément pour cela que la crainte, issue à la fois des abus réels et potentiels de cette technologie, doit être canalisée de façon productive par la société. Plutôt que de préconiser le rejet aveugle de la technologie qui fait déjà incontestablement partie du paysage biologique, les citoyens des pays démocratiques doivent s'efforcer d'étudier tous les aspects du sujet, se renseigner sur le contexte historique qui entoure ces questions, comprendre le vocabulaire, suivre les progrès de la recherche, développer des visions alternatives fondées sur leurs idées personnelles, débattre du problème et arriver à leurs propres conclusions dans l'espoir d'aboutir à une compréhension mutuelle. Compte tenu des difficultés que tout cela suppose, des conséquences désastreuses peuvent survenir du battage médiatique, d'une opposition radicale ou de l'indifférence.

C'est là où l'art peut avoir une grande utilité sociale. Le registre de l'art étant symbolique, même lorsqu'il intervient directement dans un contexte donné, celui-ci peut contribuer à mettre à jour les implications culturelles de la révolution en marche et offrir différents modes de réflexion autour de la biotechnologie et grâce à elle. L'art transgénique s'inscrit dans la génétique, à la fois au cœur et en dehors du royaume opérationnel de la biologie moléculaire et négocie sa place entre science et culture. L'art transgénique peut aider la science à reconnaître l'importance des problèmes relationnels dans le développement des organismes. Il peut favoriser la culture en démasquant la croyance populaire qui fait de l'ADN "la molécule maîtresse", en mettant l'accent sur l'organisme dans sa totalité, sur le milieu (le contexte). Enfin, l'art transgénique peut contribuer au champ de l'esthétique en développant cette nouvelle dimension symbolique et pragmatique de l'art: créer une vie et en être responsable.




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