Libération, vendredi 20 septembre 2002
Chercheurs d'art
Par Marie LECHNER
Festival @rt outsiders jusqu'au 20 octobre.
Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, 75004.
Du mercredi au dimanche de 11 h à19h45. www.art-outsiders.com
Lancé en fanfare par le maire de Paris, @rt outsiders, le festival parisien dédié aux arts numériques, espère cette année gagner en visibilité. Cette troisième édition, plus ambitieuse, fait la part belle à ces nouveaux artistes-chercheurs qui, du bio-art à l'intelligence artificielle, investissent le domaine des sciences pour questionner le vivant (Libération du 17 octobre 2001). Si l'exposition a le mérite de rassembler quelques éminents représentants du genre (Eduardo Kac, Laurent Mignonneau et Christa Sommerer), la plupart des oeuvres ne sont pas toutes de première fraîcheur.
Morse. Genesis, du Brésilien Eduardo Kac, a été présenté pour la première fois à l'Ars Electronica en 1999. Le festival autrichien dédié aux nouvelles technologies s'est intéressé à l'«art génétique» dès 1993. Hormis Avignon Numérique en 2000 (où le même Eduardo Kac avait défrayé la chronique avec son projet inabouti de lapin génétiquement modifié), la France n'a montré qu'un intérêt mitigé à ce courant artistique souvent aride. Si d'après le délégué général Jean-Luc Soret, «il n'est pas besoin d'un bagage scientifique pour comprendre les oeuvres, malgré la haute technicité des installations», mieux vaut consacrer quelques minutes aux panneaux explicatifs. Dans Genesis, première oeuvre d'«art transgénique» de Kac, l'artiste traduit le verset de la Genèse - «soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur terre» - d'abord en morse puis en code ADN, avant d'intégrer ce gène artistique dans une bactérie fluorescente. Les internautes peuvent choisir d'allumer (ou non) une lampe à UV qui provoque la mutation du gène, réécrivant à l'infini le verset biblique. Plus qu'une simple allégorie, l'oeuvre confronte les spectateurs à la délicate question des manipulations génétiques.
Sur un registre plus ludique, Laurent Mignonneau et Christa Sommerer présentent leur écosystème virtuel Life Spacies II, dont la première version date de 1997. Le visiteur peut créer des formes de vie artificielle en tapant des phrases sur le clavier. Le texte devient le code génétique d'une créature virtuelle dont l'apparence est définie par les séquences de caractères. La créature vit ensuite sa propre vie, cherche de la nourriture, croît, se reproduit et meurt.
Loin de la radicalité d'une Orlan, Christophe Luxereau revisite le thème rebattu des modifications corporelles, en projetant le spectateur dans ce qui pourrait être à l'avenir une salle d'attente d'un chirurgien plastique. Sur les murs de ce showroom soft et glacé, des photos troublantes de mannequins auxquels on a implanté d'élégantes prothèses (genou high-tech, globe oculaire de cristal) en métaux précieux, bijoux du futur qui remplaceront les organes voués au dépérissement.
Brouhaha. Ceux que les expérimentations artistico-scientifiques rebutent pourront se rabattre sur la très belle installation de Magali Desbazeille et Siegfried Canto Tu penses donc je te suis. Le visiteur qui déambule dans l'espace croise des passants inconnus dont il peut écouter les pensées. Dommage que l'installation, plus adaptée aux lieux de passage, soit confinée dans une salle exiguë. A ne pas manquer, Carbon : les portraits évolutifs de Servovalve, composés d'une myriade de lignes qui se dessinent progressivement sous les yeux du visiteur. Seul regret, dans le brouhaha ambiant, la délicate composition sonore étroitement liée à l'oeuvre est difficilement perceptible.
Durant le festival, la Maison européenne de la photographie propose à ceux qui désirent en savoir plus sur la vie artificielle, les agents intelligents ou l'art biotech, un cycle de conférences grand public suivies d'un film, ainsi que des projections présentant les meilleures animations en images de synthèse.
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