| Entretien avec Edouardo Kac, artiste brésilien, enseignant à lArt Institute de Chicago, invité dIsea Faire oeuvre dart en créant un gène, repousser les frontières de lart dans le domaine réservé de la science et en cela se mêler au débat éthique au risque dêtre incompris de tous, tel est Edouardo Kac, manifestant ces derniers jours à Paris, dans le cadre dIsea, pour que lInra libère son lapin fluorescent. | |
| Mis à jour le vendredi 15 décembre 2000 Peut-on dire que vous êtes un artiste "engagé, et ce depuis vos premières interventions au Brésil au début des années 80 ? Nous faisions des performances dans la rue et lespace public dans les années 80 au Brésil. Nous voulions changer le monde physique à un moment où la société brésilienne était quasiment anéantie et privée de toute citoyenneté. Je portais souvent une mini jupe rose, ce qui était une façon dutiliser le corps, détendre nos moyens dexpression et de suggérer lambiguïté sociale entre lhomme et la femme. Par la suite, et comme dans le cadre de mes performances jécrivais mes propres textes, je me suis logiquement intéressé à la question verbale, à la relation du mot dans lespace. Jai commencé à travailler avec les technologies, à composer des mots sur ordinateur à les représenter avec un système holographique; les mots se transformaient en fonction des mouvements du visiteur. Jai composé 23 "holopoèmes" en dix ans. Depuis, vous navez cessé dinterroger les technologies ? Oui mais pour aborder systématiquement la question du contexte et de lobjectivité. On ne peut dissocier un processus de compréhension du monde de lidéologie de lobservateur. Doù les oeuvres de télé-présence, le robot en 1986 qui était contrôlé à distance et qui discutait avec dautres personnes dans une galerie. Lornithorynque (1989), autre robot commandé à distance par téléphone, puis par Internet, depuis 1994. Placé tout près du sol, il permet de comprendre ce qui se passe non seulement quand notre relation à lespace change mais quand cette relation est affectée par tous les aspects de lexpérience : linterface, le type de réseau, le nombre de caméras, la structure du corps du robot. A travers ces expériences, plus que la simulation, cest la stimulation qui mintéresse, ce qui "stimule" limagination, permet de comprendre la multiplicité des filtres de langage et des points de vue. Vos expérimentations nont-elles pas pris une dimension scandaleuse et "publique", lorsque vous avez infiltré le champ des bio-technologies ? Lart biologique est une façon de sexprimer non par la création dobjets mais par lintervention à travers le sujet. La technologie quelle que soit sa nature sert dinterface. On parle de GFP Bunny le lapin vert fluorescent, mais celui ci vient après Genesis, la création dun gène synthétique comme oeuvre qui avait été présenté à Ars Elektronica en 1999. Le projet de GFP Bunny est né dans le cadre dAvignon Numérique. Luvre consistait à intervenir sur le gène dun lapin en y introduisant un marqueur inoffensif - le GFP - utilisé dans toutes les recherches médicales. Nous avons développé le gène de GFP Bunny avec le professeur Houdebine qui pour moi est réellement un visionnaire dont les positions sont importantes dans le débat éthique actuel. Or, après sa naissance, lInra a refusé de laisser sortir Alba, la lapine issue de ce processus. Pourtant ma femme, ma fille et moi-même étions et sommes toujours déterminés à emmener Alba à Chicago pour ladopter dans notre famille. Pour vous, le scandale provoqué par Alba fait-il partie de luvre ? Cest ma responsabilité dartiste de poser les problèmes éthiques, et cest pourquoi jai multiplié les interventions, les conférences, les affichages à Paris au cours de mon séjour. Je ne veux pas créer de monstre, mais poser le problème de la conscience. On ne sait pas vraiment si une bactérie ou si une plante a une conscience, mais en ce qui concerne le lapin ou le chien, nous navons aucun doute. Quelques scientifiques eux disent quil sagit de "vitalisme" une notion du XVIIIe siècle, et préfèrent se limiter à analyser des processus moléculaires, alors que les gènes ne font rien tout seuls. On ne peut par réduire la complexité du vivant. On ne peut parler de gènes sans le situer dans un corps lui-même dans un environnement. Nous ne savons pas ce quest la vie, mais sans communication, sans interaction, il ny a pas de conscience, pas de vie. Je sais quAlba est une création très ambiguë, mais cest cette ambiguïté même qui est créative et permet de développer dautres formes de pensée. Propos recueillis par Odile Fillion |