Transgenic park
CORINNE BENSIMON
Encore cantonnés aux circuits de la recherche, ils sont prêts à sortir sur le marché. Quels sont ces animaux transgéniques sortis des rêves les plus fous? Promenade à la lisière du réel.
La scène se passe aux alentours du 7 avril 2008. Mais aucune donnée scientifique n'a été
inventée (elles sont consultables sur www.ncbi.nlm.nih.gov/PubMed) et les animaux
transgéniques présentés ici comme nés avant le 30 septembre 2000 existent bel et bien.
Que la visite commence! Avec un coup d'il, s'il vous plaît, au pavillon du
Nouveau paradis, le clou de la Foire du clone. Il y a bien longtemps, en terre
d'Eden, vivaient tous les animaux de la Création. Les bons comme les méchants.
Les colombes et les serpents. Et même les anophèles. Ces moustiques voletaient
heureux, les mâles buvant du nectar, les femelles une gouttelette de sang avant chaque
ponte, comme c'est l'usage. Ils ignoraient le mal. Et donc, ils ne cachaient pas dans leur
salive le terrible Plasmodium falciparum, le parasite du paludisme qui tuait toujours
trois millions de personnes par an en 2000. Ils en étaient physiquement incapables.
Exactement comme ces anophèles transgéniques lâchés derrière les moustiquaires du
Nouveau Paradis.
Grâce au génie génétique, ils sont devenus inaptes au colportage du moindre
plasmodium. La chose n'était pas simple, les insectes tiennent en échec les manipulateurs.
Mais le 22 juin 2000, les Grecs Fotis Kafatos et Charalambos Savakis ont annoncé dans
Nature la création du premier anophèle transgénique. Ce prototype doté d'un unique
gène étranger était le prélude aux moustiques antipalu qui s'égaillent ici et qui sont dotés,
eux, d'une dizaine de gènes de résistance au plasmodium. Bientôt, les portes du Nouveau
paradis s'ouvriront sur le monde, ils partiront à la conquête des tropiques et répandront
leurs bons gènes dans les populations d'anophèles indigènes. L'homme vivra alors en
paix avec son plus vieil ennemi, le moustique. Oui, le plasmodium pourrait bien se
rabattre sur un autre transporteur piqueur, plus redoutable. L'hypothèse est examinée. On
avance, s'il vous plaît.
Galerie des miracles. Attention les marches. Ce n'est pas une descente aux enfers mais
à la galerie des miracles. Ici vivent quelques-unes des bêtes fournies par le laboratoire
Jackson dans le Maine, la plus grande animalerie transgénique du monde. La plus
ancienne aussi: il y avait déjà là- bas, en 1999, plus de 200 types de rongeurs modifiés
génétiquement. La plupart de ces souris sont destinées à l'étude de maladies humaines et
de leur traitement, certaines à la découverte du fonctionnement des gènes humains en
temps normal. Ces bêtes possèdent en effet des gènes humains altérés à dessein pour
provoquer une pathologie ou un trait particulier. Comme ce rongeur qui a un genre
d'Alzheimer, cet autre qui fait de l'hypertension, cette souris agressive ou celle-là, dans
son labyrinthe, très futée, à côté de l'autre, vieille comme Mathusalem... Ce sont des
cobayes éprouvés, ils ont été créés dans les années 90. Pardon? Non, pas encore de
singes. Ils ne supportent pas le geste de base de la manipulation génétique qui consiste à
injecter un gène dans un uf tout juste fécondé. Les embryons de primates en meurent.
Enfin... de primates non humains. En ce qui concerne la création d'un homme
transgénique, on ne sait pas. Il n'y a rien à ce sujet, dans les revues scientifiques.
Verte campagne. Retour au grand air, direction le Pavillon de la verte campagne où
s'ébattent quelques figures célèbres de l'histoire de l'animal. Tout le monde reconnaît le
premier clone de mammifère adulte, né en juillet 1996 à Edimbourg (Nature, 27 février
1997) d'un transfert de noyau cellulaire dans un ovule: Dolly la brebis, ou plutôt son
double car l'animal que vous voyez-là a deux ans. En effet, tous les mammifères célèbres
présentés ici sont les copies clonées d'originaux conservés, dans les laboratoires de
tutelle, sous forme de lignées cellulaires cryogénisées. On peut ainsi facilement
renouveler le stock et garantir la qualité constante de la Foire.
Une autre vedette, oubliée : une chimère brebis-chèvre. Elle avait fait la une de Nature en
février 1984. C'était une créature du vétérinaire danois Steen Willadsen, qui avait fait
fusionner deux jeunes embryons des deux espèces. Résultat, des poils de mouton, un
profil de chèvre et rien de très intéressant pour les éleveurs. L'animal a fini en un méchoui
offert par Willadsen à ses collègues britanniques, mais il a été recréé pour la Foire.
Le mouton mitoyen, lui, est une nouveauté. C'est l'aboutissement d'un projet conçu dans
les années 90 par le Csiro, le Centre national de recherche agronomique australien (New
Scientist, 4 avril 1992). C'est un ovin autonettoyant, il est doté d'un gène insecticide tiré
du tabac qui lui permet de suer un produit antiparasites. Fini les traitements chimiques
qui laissent des résidus dans la viande et altèrent la laine. Au rayon textile toujours, voici
la chèvre vedette de l'été 2000 qui produit dans son lait une protéine de fil d'araignée,
matière convoitée pour sa résistance et son élasticité. Mais c'est aujourd'hui le ver à soie
qui fournit ce fil, grâce à l'équipe du Français Pierre Couble qui a créé en janvier 2000 le
premier Bombyx transgénique (Nature Biotechnology). Les mouchoirs en soie
d'araignée sont offerts par la maison. En revanche, interdiction de ramasser des cellules
d'animaux exposés ou tout autre matière permettant leur clonage. Les AGM sont brevetés,
leur reproduction est un acte de contrefaçon passible de sanctions.
Très grande pharmacie. Excusez l'odeur de la Très grande pharmacie. Il y a des porcs
ici. Les très célèbres donneurs d'organes. Imutran, la firme britannique, en expose
quelques-uns. Dès la fin des années 90, ils ont été dotés de deux gènes humains qui
empêchent le rejet immédiat en cas de greffe d'un cur, d'un rein ou d'un foie de ces
bêtes sur un patient. Depuis, d'autres gènes ont été greffés pour une meilleure
compatibilité immunitaire porc-homme. Mais on redoute toujours, comme l'écrivait en
2000 l'éditorialiste de Nature, qu'une nouvelle maladie humaine, d'origine porcine,
n'émerge à l'occasion d'une telle greffe. Les malades attendent donc.
Les ruminantes ici présentes ont plus de succès. Elles produisent dans leur lait des
protéines humaines autrefois extraites du sang avec tous les risques que l'on sait et en
quantités trop infimes pour la demande. En 1999, déjà une cinquantaine de ces
substances issues d'AGM étaient l'objet d'essais cliniques. Aujourd'hui, c'est la déferlante
dans les hôpitaux. Voilà une ancêtre de ces pharmaciennes à poil: cette brebis,
manufacturée chez l'américain Genzyme, a été créée dans les années 90. Elle produit de
l'antithrombine III, qui prévient la formation des caillots.
Le taureau, en revanche, est dernier cri. Il produit des molécules humaines dans son
sperme. Les Québéquois Pothier et Dyck, qui travaillaient à une souris du même acabit,
l'avaient rêvé dès novembre 1999. Ils remarquaient alors, dans Nature Biotechnology,
que "le sperme est un fluide corporel qui peut être collecté facilement sur une base
continuelle". Elémentaire. Attention à la fermeture des grilles, sécurité oblige. Ces
animaux sont toujours hors de prix. Combien? Ce n'est pas public. Mais sachez qu'en
août 1999, ils étaient cotés dans Nature, à 100 000 dollars le porc transgénique et un
million de dollars certaines vaches.
Feu d'artifice. Sans transition, voici à présent, pour terminer, un feu d'artifice en lumière
noire. Les boules qui sautent comme des feux follets sont des animaux dotés d'un gène
phosphorescent de méduse. Le spectacle est réalisé par des lapins phosphorescents,à
l'image d'Alba, créé par l'Institut national de la recherche agronomique en février 2000
pour le professeur d'art américain Edouardo Kac (visible sur www.ekac.org). Des souris
fluo, made in Japan (Science, 14 mai 1999). Et les points brillants sont des vers à soie,
envoyés par le CNRS de Lyon où ils ont été créés (Nature Biotechnology, janvier
2000). La visite est terminée. N'oubliez pas le guide. Ni votre chien, si vous l'avez laissé à
l'Espace prévoyance pour un prélèvement de cellules en vue d'un clonage ultérieur.
L'atelier de transgénèse "la Main à la patte" est ouvert au pavillon Marie-Antoinette».
Back to Kac Web