Article publié dans le magazine MAD, N.11, 2001, pp. 74-76.
Le Bio-Art : Aura-T-Il Notre Peau?
Hélène Dahman
Ils cultivent leur peau pour en faire des oeuvres d'art, font des greffes de
muscles sur des sculptures biologiques et tripatouillent des codes ADN ! Les
artistes d'avant-garde travaillent maintenant dans les labos. Certains
exposent déjà leurs créatures mutantes dans les plus grands musées. d'autres
dénoncent les dérives du " bio-art ". Faut-il avoir peur de Frankenstein ?
En décembre 2000, à Linz, lors du célèbre festival Ars Electronica,
un artiste brésilien appelé Eduardo Kac annonce
qu'il va créer un chien fluorescent. " Chaque jour, une espèce animale ou
végétale disparaît, annonce-t-il. Je pense que les artistes pourraient
utilement augmenter la biodiversité de notre planète en inventant de
nouvelles formes de vie. Ma prochaine oeuvre s'appellera GFP-K9 ". Remous
dans l'assistance. De nombreux auditeurs, inquiets, protestent Inaltérable,
Eduardo Kac continue : " GFP signifie " Protéine Verte Fluorescente ". Cette
protéine, que l'on trouve dans le code génétique de la méduse Aequoria
Victoria, sera injectée dans l'ADN d'un chien. Sous les rayons
ultra-violets, GFP-K9 se mettra à briller comme une ampoule de néon vert.
Mais ce sera un chien comme les autres, mis à part ce délicat changement de
couleur. Il mangera, s'amusera et copulera avec les autres chiens sans
problème, devenant le père d'une nouvelle lignée canine ". " K-9 " se
prononce ka-nine en Anglais. C?est le petit nom de ce chien futuriste, sur
la création duquel une équipe entière de généticiens travaille depuis un an.
A la tête de cette équipe, Eduardo Kac défend, inlassablement, la thèse d'un
" art transgénique " sans danger. Invité dans tous les colloques
internationaux, il multiplie les interventions fracassantes : " Les
organismes artistiquement modifiés deviendront nos compagnons familiers ",
annonce-t-il. Kac avait fait scandale l'année dernière en exposant à Avignon
un lapin fluorescent sorti des laboratoires de l'inra. En 1999, avec l'aide
du docteur Charles Strom, directeur du centre de génétique médicale à
Chicago, il a même créé des bactéries mutantes appelées " Genesis ". Pour ce
faire, il a traduit un verset de la Bible en morse, puis converti ce code
morse en paires de base ADN. Le verset (Genèse 1, 28) disait : "Soumettez
les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la
terre !". Résultat : des molécules synthétiques, insérées dans le code ADN
de bactéries exposées comme n?importe quelle oeuvre d'art au festival Ars
Electronicas
Eduardo Kac n'est pas le seul à promouvoir les manipulations génétiques
comme une nouvelle forme d'art. A New York, Natalie Jeremijienko expose déjà
des arbres clonés. Une autre artiste, Marta de Menezes, fait de la "peinture
cellulaire" en manipulant des chromosomes de papillon. Joe Davis introduit
dans les cellules vivantes des messages écrits ou des symboles graphiques
traduits en code ADN. Tous ces artistes bidouillent pour l'instant des
petites ?uvres sans danger. Officiellement, ils ont même de l'éthique :
leurs discours, unanimes, condamnent les dérives de la biotechnologie.
Pourtant, bien malgré eux, ils participent à une vaste entreprise de
banalisation, qui risque vite de nous dépasser. " En faisant passer pour de
l'avant-garde les manipulations transgéniques, le risque est de servir de
"caution artistique" à des processus de marchandisation, s?inquiète
Isabelle Rieusset-Lemarié, sociologue. L'art, pour les fabricants de
créatures transgéniques, c'est une nouvelle forme de publicité ". Le gentil
toutou GFP-K9 : une façade ? Peut-être. Tous les abus deviennent possibles
si les médias et le public cautionnent n?importe quelle manipulationS Tandis
que les artistes se servent du vivant comme d'une plus-value, les grands
centres de recherche se servent d'eux pour faire passer des logiques
industrielles Un exemple ? Certains artistes - financés par des labos
pharmaceutiques comme Acroyd et Harvey - s?associent déjà avec les
chercheurs pour commercialiser de l'herbe transgénique ! Leur but : faire
des portraits sur une herbe génétiquement modifiée dont la vente est prévue
pour 2002. Quand certains créateurs font la promo des OGM, il y a quelque
chose de pourri dans le royaume de l'avant-gardeS
Heureusement, tous les artistes ne se prennent pas pour Dieu. Certains
ont même de l'esprit critique par rapport à l'art transgénique. Ils
travaillent en labo, eux aussi, mais pas pour " créer de la vie ". Au
contraire, c'est pour dénoncer. Oron Catts et Ionat Zurr, par exemple : ils
fabriquent des poupées organiques, recouvertes de cellules vivantes, qui
incarnent nos pires cauchemars. Christian Paraschiv, lui aussi, met sa peau
en culture dans des incubateurs et la fait croître comme un virus Juan Le
Parc, autre artiste français, vend des robes en latex qui ressemblent à des
peaux humaines greffées d'organes mutants, à l'aspect inquiétant. Avec le
graphiste Reed 013, il a même lancé un petit salon des horreurs génétiques
ArtClone - qui préfigure toutes les dérives scientifiques à venir. Leurs
oeuvres, faites de clonage virtuel et d'hybridations cellulaires, sont autant
de mises en garde contre le futur qui nous guette. " Grâce à la science, les
artistes peuvent maintenant transformer l'organique en matière première,
explique Juan Le Parc. Bientôt, on pourra faire de la bioplastique, designer
pour Monoprix des collections fruits et légumes été 2010, créer des bananes
ergonomiques, ajouter une plus-value esthétique aux produits vivants comme
les animaux, les fruits et pourquoi pas les humains. Tout mon travail tourne
autour de ce danger : un jour, les bureaux de marketing imposeront les
nouvelles tendances de la génétique industrielle". Méfiez-vous. Un jour, les
laboratoires vous proposeront d'être plus beau, plus belle, et pourquoi pas
de briller comme un néon vert sous les ultra-violets !
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