Initialement publié dans Québec Sciences, Septembre1999.
par Philippe Chartier
Existe-t-il des raisons empêchant a priori un artiste de manipulerdu matériel génétique ? L'art qui touche les sciencesde la vie constitue-t-il une forme d'art spécifique? Un êtretransgénique peut-il être considéré comme uneoeuvre d'art?
Ce sont là quelques-unes des épineuses questions qui serontdébattues au festival Ars Electronica (1) ce mois-ci.
Du 4 au 9 septembre, scientifiques, universitaires et artistes sontréunis à Linz, en Autriche, pour discuter des rapports complexesqu'entretiennent l'Art, la Technologie et la Société. Fortcouru, l'événement est également devenu l'occasionde récompenser les artistes de l'interactif et du numérique.L'an dernier, deux Canadiens ont reçu une mention d'honneur dansla catégorie « Musiques numériques » pour leurSymphonie pour imprimantes matricielles. Il s'agissait d'une piècemusicale « interprétée » par douzevieilles imprimantes en réseau !
Cette année, à l'occasion de son 20e anniversaire, lefestival a pour thème la biotechnologie et le génie génétique.Sous le nom de LifeScience, un symposium déjà en marche surInternet depuis le mois de mai (2) propose d'examiner l'avenir àla lumière des récents progrès de l'informatique etde la biotechnologie. Tous les enjeux - philosophiques, socio-politiques,voire métaphysiques - engendrés par ces technologies sontau menu.
On examinera particulièrement les questions éthiques quesoulèvent de nouveaux courants artistiques comme l'« arttrangénique (3) » . Assistant-professeur à laSchool of the Art Institute de Chicago, Eduardo Kac suggère d'utiliserles techniques du génie génétique pour transférerdes gènes d'une espèce à une autre ou, mieux encore,implanter des gènes entièrement synthétiques dansle code génétique d'un animal ou d'une plante. Le but? Créerde nouvelles formes de vie, des hybrides plante-animal, animal-humain,etc.
L'artiste a déjà un projet bien concret dans ses cartons :le GFP K-9, soit GFP pour Green Fluorescent Protein (protéine fluorescenteverte), « K-9 » étant un jeu de mots sur l'adjectifanglais canine.
La protéine GFP est normalement produite par une méduseque l'on retrouve dans le Pacifique. Exposée aux rayons ultraviolets,elle émet une vive lumière verte. En implantant le gèneGFP - totalement inoffensif selon l'artiste-chercheur - dans le code génétiqued'un chien, Eduardo Kac espère obtenir un animal en santémais vert fluorescent ! Cela ne fera pas avancer la science, dites-vous,mais, faut-il le rappeler, l'une des premières plantes transgéniquesétait un plant de tabac auquel on avait implanté un gènede luciole.
Selonl'artiste, cette démarche a pour but d'encourager le questionnementsur les biotechnologies et les manipulations génétiques.« Il n'y a pas, dit-il, d'art transgénique sans un profondsens de responsabilité vis-à-vis la nouvelle forme de vie.[...] Les animaux résultant de l'art transgénique doiventêtre des créatures en bonne santé et capables d'undéveloppement normal comme n'importe quel membre d'une espèceapparentée. Ces créatures doivent être aiméeset soignées comme n'importe quel animal. »
Au-delà de l'intérêt « artistique »de la chose, Eduardo Kac croit qu'il s'agit aussi d'une façon d'enrichirle bassin génétique mondial : « Comme aumoins une espèce menacée disparaît tous les jours,je suggère que les artistes contribuent à accroîtrela biodiversité en inventant de nouvelles formes de vie. »
CyberRessources
(1) Festival Ars Electronica http://web.aec.at/
(2) Symposium LifeScience http://web.aec.at/lifescience/indexv4.html
(3) Transgenic Art http://www.ekac.org/transgenic.html
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