CAPSULE TEMPORELLE
Sujet : Evènement durant lequel une micropuce (ètiquette didentification de rèpondeur) a ètè implantèe dans la cheville gauche de lartiste
Artiste : Eduardo Kac
Date : Mardi 11 novembre 1997, 22h00 -- heure de São Paulo (18h30 Etats-Unis côte est)
Lieu : Centre culturel Casa das Rosas, São Paulo, Brèsil
A l'antenne : En direct à la tèlèvision brèsilienne par TV Bandeirantes, chaîne 21, à 21h30 -- heure de São Paulo (18h30 Etats-Unis côte est)
En ligne : Web à http://www.dialdata.com.br/casadasrosas/net-art/kac
Autres informations et site permanent : http://www.ekac.org/timec.html
CAPSULE TEMPORELLE
Eduardo Kac
INTRODUCTION
"Capsule Temporelle" est une oeuvre-expèrience qui se situe entre une installation-èvénement locale, une oeuvre in-situ où le site est à la fois mon corps et une base de donnèes èloignèe, et une diffusion simultanèe à la tèlèvision et sur le Web. Lobjet qui donne son titre est une micropuce dotèe d'un numèro didentification programmè, et intègrèe avec une bobine magnètique et un condensateur, l'ensemble ètant hermètiquement scellè dans du verre biocompatible. Lèchelle de temps sètend entre lèphèmére et le permanent, soit entre les quelques minutes nècessaires pour lachévement de la procèdure de base, limplantation de la micropuce, et le caractére permanent de limplant. Comme pour d'autres capsules spatio-temporelles "underground", cest sous la peau que cette Capsule Temporelle numèrique se projette dans le futur.
PROCEDURE
Quand le public entre dans la galerie où ce travail a lieu, il peut voir un mèdecin, sept photographies dans les tons sèpia prises en Europe Centrale dans les annèes trente, un chxlit horizontal, un ordinateur en ligne servant le Web, un doigt tèlèrobotique, du matèriel de diffusion supplèmentaire. Je commence (et termine) la procèdure de base en lavant la peau de la cheville avec un antiseptique et en insèrant avec une aiguille spèciale sous la peau la micropuce passive, qui est en fait un rèpondeur non rechargeable ou dèpourvu de piéces mobiles qui s'useraient. Le scannage de limplant produit un faible signal radio (125KHZ) qui met sous tension la micropuce qui transmet son code numèrique unique et inaltèrable, montrè sur laffichage à cristaux liquides à 16 caractéres. Dés que jai obtenu cette donnèe, je menregistre par le Web sur une base de donnèes èloignèe situèe aux Etats-Unis. Cest le premier exemple dun Ítre humain ajoutè à une base de donnèes: ce registre a ètè conçu à lorigine pour identifier et rècupèrer les animaux perdus. Je menregistre à la fois comme animal et comme propriètaire sous mon propre nom. Aprés limplantation, une petite couche de tissu connectif se forme autour de la micropuce, qui est ainsi immobilisèe.
MEMOIRE ET INFORMATION
La documentation et lidentification ont ètè parmi les principaux moteurs du dèveloppement technologique, en particulier dans le domaine de l'imagerie, depuis la premiére photographie à la surveillance vidèo omniprèsente; ce nest pas une coïncidence. Tout au long des dix-neuviéme et vingtiéme siécles, la photographie et les outils d'imagerie qui en sont proches ont fonctionnè comme des capsules spatio-temporelles, permettant de sauvegarder collectivement la mèmoire de nos organismes sociaux. A la fin du vingtiéme siécle cependant, nous assistons à une inflation mondiale de limage et à leffacement par les technologies numèriques du pouvoir sacrè de la photographie comme èlèment de vèritè. Il nest plus possible aujourdhui de se fier à la fonction de reprèsentation de limage comme agent clef de prèservation de notre mèmoire et de notre identitè sociale ou personnelle. Nous pouvons à prèsent modifier la configuration de notre peau par la chirurgie esthètique aussi facilement que nous pouvons manipuler la reprèsentation de notre peau par limage numèrique, de sorte que nous pouvons maintenant incarner limage de nous-mÍmes que nous dèsirons devenir. La possibilitè de modifier la chair et limage permet aussi den effacer la mèmoire.
Aujourdhui, la mèmoire est sur une puce. Nous appelons "mèmoire" les unitès de stockage des ordinateurs et des robots, nous donnons à nos machines l'apparence d'Ítres humains , nous les faisons ressembler un peu plus à nous-mÍmes. Et, ce faisant, nous les imitons. Le corps est traditionnellement considèrè comme le dèpositaire sacrè de souvenirs uniquement humains, acquis par hèritage gènètique ou par des expèriences personnelles. On trouve des puces-mèmoires à lintèrieur des ordinateurs et des robots, pas encore dans le corps humain. Dans la Capsule Temporelle, la prèsence de la puce (avec ses donnèes enregistrèes rècupèrables) à lintèrieur du corps nous oblige à prendre en considèration la co-prèsence en nous des mèmoires vècues et des mèmoires artificielles. Les mèmoires extèrieures deviennent des implants dans le corps, anticipent les exemples à venir où les èvènements de ce type pourraient devenir pratique courante, soulévent la question de la lègitimitè et des implications èthiques de ces mèthodes dans la culture numèrique. Les transmissions en direct à la tèlèvision et sur le Web rapprochent cette question de nos salles-à-manger. Le scannage de limplant à distance par le Web montre comment le tissu connectif du rèseau numèrique mondial rend la peau obsoléte en tant que frontiére de protection marquant les limites du corps.
INCORPORATION DE LA BIOTECHNOLOGIE
Pour examiner certaines de ce questions, nous devons seulement regarder le prèsent de plus prés, non pas l'avenir. Si notre signature unique est dans notre code gènètique, nous navons pas besoin de signer notre nom avec notre sang pour laisser une trace authentique indèniable. Il suffit d'un stylo spècial, contenant de lencre où a ètè introduit notre propre ADN, ce qui est actuellement possible dans le cadre de la lutte contre les contrefaÁons. La recherche par radar, ou lutilisation de la technologie d'ètiquetage et d'observation pour surveiller à distance lendroit où se trouve un animal aussi petit quun papillon ou aussi grand quune baleine, ainsi que son comportement, sont aussi des cas d'espéce.
Lapparition de la biomètrique, avec la conversion de traits personnels uniques--contours de loeil, empreintes digitales--en donnèes numèriques, montre clairement que, plus la technologie se rapproche du corps, plus elle tend à y pènètrer. Lutilisation rèussie actuelle des micropuces dans la chirurgie des blessures à la règion spinale ouvre dèjà un domaine sans prècèdent dinvestigation, où les fonctions corporelles sont stimulèes extèrieurement et contrôlèes par lintermèdiaire des micropuces. La recherche mèdicale expèrimentale dans le domaine de la crèation de rètines artificielles, qui utilise des micropuces dans loeil pour permettre aux non-voyants de voir, par exemple, nous oblige à accepter les effets libèrateurs des micropuces à lintèrieur du corps. Simultanèment, la prise et le brevetage lègaux d'èchantillons dADN des cultures indigénes par des entreprises de biotechnique, et leur vente par Internet, montrent que mÍme le trait biologique le plus personnel nest pas à labri de la cupiditè et de lomniprèsence de la technologie.
ETHIQUE ET TRAUMATISME
Le passage à la culture numèrique comme nous le vivons aujourdhui, - avec ses interfaces standard qui nous demandent de taper sur un clavier et dÍtre assis derriére un bureau en regardant un ècran- crèe un traumatisme physique qui amplifie le choc psychologique engendrè par les cycles de plus en plus rapides de linvention, de lèvolution et de lobsolescence technologique. Lune des manifestations les plus marquantes de ce traumatisme physique est quil prend la forme du syndrome du canal carpien et des maux de dos. A un moindre degrè, la standardisation actuelle de linterface a donnè lieu à une contrainte gènèrale du corps humain, obligè de se conformer à la forme de boîte du dispositif de lordinateur ( moniteur et UCT -Unitè centrale de traitement-). Cest presque comme si le corps ètait devenu une extension de lordinateur, et inversement. Ceci refléte, peut-Ítre, la perspective gènèrale de la technologie, puisque la vie organique devient une extension de l'ordinateur, comme les nouveaux vecteurs de la technologie des micropuces indiquent clairement les sources biologiques comme s'il s'agissait de la seule maniére de continuer le processus exponentiel de miniaturisation, au-delà des limites des matèriaux traditionnels.
Il est certainement nècessaire de trouver d'autres formes dexpèrience dans la culture numèrique. La possibilitè pour la mèmoire numèrique d'Ítre l'hôte d'un lieu non sec -comme dans lexemple de la Capsule Temporelle- montre une forme peut-Ítre non moins traumatique mais plus libre de prèsentation de cette proposition. Le corps vivant veut sortir de cette inconfortable boîte et bouger sans restriction. Cest seulement dans la mort que le corps repose dans une boîte. La prèsence intradermique dune micropuce rèvéle le drame de ce conflit, nous tentons de mettre au point des modéles conceptuels qui rendent explicites les effets indèsirables de cette impulsion et en mÍme temps nous permettent de rèconcilier les aspects de notre expèrience encore gènèralement considèrès comme opposès, comme la libertè de dèplacement, le stockage et le traitement des donnèes, les interfaces humides et les environnements de mise en rèseaux.
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